Episode 5 : Déconnexion (Guillaume d'Aquilonia - 29/01/2001)

Harllanan et Slug remontent la grand rue qui conduit à la place du marché. Slug est encore tout abasourdi d’avoir vu un âne parler et sans s’en apercevoir trébuche maladroitement en essayant de suivre l’elfe qui avance à grandes enjambées. Le chemin est toujours boueux, et Slug a du mal à tenir l’équilibre aussi facilement que son nouvel ami, dans cette rue qui monte légèrement vers les étals baroques et divers. D’ailleurs il ne remarque pas qu’Harllanan ne laisse pas de traces sur la terre détrempée et que bien qu’il y ait une légère brise, aucun de ses cheveux argentés ne vacille.

La place est animée et chacun va au bon gré des boutiquiers qui interpellent les passants en vantant les mérites ici d’une écaille de dragon ou là d’un breuvage inconnu. Même si les commerçants sont nombreux on distingue aisément l’échoppe du vendeur de serpent.

Au milieu des devantures mouillées et défraîchies, celle-ci resplendit, habillée d’une étoffe moirée qui jette mille éclats malgré le temps couvert. Sans aucune hésitation Harllanan entre dans la boutique et se dirige vers le vieillard rabougri qui fait office de vendeur.

  • Vous avez une fiole pour moi, entame Harllanan d’un ton impératif, donnez-la moi.

Le vieillard encore sur le point de répondre semble à cet instant s’immobiliser comme une statue alors que l’espace qui l’entoure paraît à son tour se figer. En moins d’une seconde, le moindre mouvement disparaît et la plume que laissait tomber le vendeur s’arrête comme suspendue dans l’espace. Slug encore tout essoufflé remarque cette fois immédiatement la bizarrerie.

  • Hé Shas qu’est-ce que ???
  • Nous n’avons pas le temps, Slug, mes ennemis vont arriver d’un moment à l’autre. Ecoute-moi bien, je dois maintenant disparaître. Quand je serai parti, arriveront des guerriers tout de noir vêtus, quoiqu’ils te demandent, tu ne m’as jamais vu. Continue à aller à l’auberge où nous nous sommes rencontrés, je te recontacterai sous peu.

A peine l’elfe a-t-il fini sa phrase qu’il commence à s’estomper. Tel un rêve fait de fumée, il s’évanouit pour ne laisser qu’un espace vide. Mais Slug n’a pas loisir de s’attendrir car déjà une main gantée de fer se pose sur son épaule.

  • " Déconnexion terminée "

La voix artificielle heurte l’oreille d’Harry Lanan encore mal remise du transfert. Le caisson dans lequel il était immergé s’ouvre lentement et les divers électrodes qui étaient encore en contact avec sa peau se décollent avec un petit " plop " suinteux. La prise jack encore branchée à son cou, il hurle :

  • Ils ont failli m’avoir Pat, comment m’ont-ils repéré si vite ?
  • Je pense que c’est la destruction de leur Programme de repérage des intrus de type " Boris ", que j’ai du détruire pour te couvrir, qui a du les avertir de ta présence dans le jeu.
  • M.., j’étais si près d’avoir une info fraîche. Le vendeur de serpent détient un accès de type " fiole ", le code était sécurisé puisque de couleur mauve.
  • Ce n’est pas grave, tu te reconnecteras dans une heure. Mais laisse-moi le temps d’améliorer ton artefact, tu ne laisses même pas de traces dans la boue !

Patrick aide Harry à s’extirper de la machine et lui enlève le peu de gélatine rose qui colle encore à ses cheveux. Le lieu est propre comme une salle d’opération et le silence règne dans la grande salle ou seule la vibration émise par les machines rappelle que cet univers est vivant. Sans un mot les deux hommes se regardent et leur silence est lourd de sens. Une poigne d’acier étreint l’estomac de Harry, il était si près du but.

Voilà maintenant trois mois que sa sœur Sylvie s’est réfugiée dans le jeu-monde Nexus, et pour une fois, une piste s’ouvrait à lui pour la retrouver. La méga-corporation Téméro, avait mal apprécié que Sylvie mette à jour les preuves qu’elle empoisonnait la planète et que sa responsabilité dans la diminution de l’eau était engagée. Prise au piège au sein de la tour de la corporation, Sylvie n’avait eu pour fuite que l’accès au monde-jeu Nexus. Son corps était encore en possession de Téméro, mais pas son esprit, Harry devait le retrouver.

Les phares d’un antigrav traversant les baies de la pièce, sortent Harry de son mutisme. Patrick, lui, est déjà au travail sur sa machine et tente de reprogrammer un artefact plus réaliste pour la prochaine connexion. Sylvie est sa fille et ce petit contre-temps lui pèse, mais il n’est pas dans son caractère de montrer ses sentiments.

  • Qui t’a contacté dans l’auberge ? demande-t-il à Harry sans même lever les yeux.
  • Un " greffé " du nom de Slug. Ce doit être un ancien, car son artefact est fortement caractérisé, il est borgne. Par contre, il n’a aucun résidu du réel, et je suis sûr qu’il pourrait m’aider. Il rêve, il rêve de Sylvana et de moi, ou du moins mon artefact.

Les " greffés " sont à l’origine des passionnés d’environnement virtuel, qui souvent touchés par des handicaps lourds, décident de quitter leur corps pour résider au sein des jeux-monde. Ils sont une source d’économie pour les créateurs d’univers et après avoir perdu leur mémoire, sont d’excellents programmes d’interaction pour les joueurs lambda. Par contre, fait d’impulsions électroniques, ils ne sont pas sensés rêver.

  • Il y a eu autre chose de bizarre tout à l’heure. C’est l’artefact double de l’âne et de l’aveugle qui m’a indiqué où trouver l’accès de type " fiole ". Par contre c’est l’âne qui s’est exprimé.
  • Ce doit être un " décadent " ou un " révolutionnaire " ! Ils s’introduisent dans le jeu pour lutter contre les méga-corporation. Il faudra que tu le retrouves. As-tu d’autres infos sur lui ?
  • Pas vraiment. Slug m’a parlé d’une sorcière, Auroreratum, qui se trouverait dans la forêt hantée.
  • C’est une piste à suivre, dit Patrick en bougonnant. Ca y est, tu peux y aller, ton nouvel artefact est prêt. N’oublie pas qui tu es, trouve ma fille et brave les dangers. Ce jeu est maintenant mortel, même si je te suis de près, les artefacts de Téméro sont maintenant à tes trousses.

Alors, qu’Harry voit le couvercle se son caisson se refermer et qu’il sent la gélatine pénétrer dans ses poumons, il entend la voix artificielle et sans émotions de l’ordinateur annoncer la :

  • " Reconnexion "