Episode 6 : Interrogatoire (Tchik Parafe - 06/03/2001)

  • Espèce de cancrelat ! ! ! … " PAF ! ! ! "

Une énorme baffe s'abattit sur Slug l'éjectant littéralement du tabouret sur lequel on l'avait posé, pieds et poings liés. Les deux assistants le remontèrent vigoureusement sur son siège. Le visage tuméfié, la respiration sanglante, Slug cracha un juron.

  • Tu sais, siffla le tortionnaire, il n’y a qu’une heure que tu es là et on a du temps devant nous, alors d’une façon ou d’une autre, tu vas nous cracher autre chose que des insultes, ou je ne m’appelle plus Greuth le Rouge. Tous ceux qui sont sortis d’ici étaient soit morts soit coopératifs… Or, tu ne me sembles pas prendre la voie de la coopération, ton crédit de survie s’épuise rapidement. Vous deux, continuez la séance, dit le colosse vêtu de rouge en allant s’asseoir sur un fauteuil situé devant la porte de la cellule.

L’un des geôliers bâillonna Slug, en souriant, se délectant à l’avance du sort qu’il lui réservait.

  • Monsieur Slug, je vais vous reposer cette question. Ensuite je vous adresserai un traitement pour que vous recouvriez votre mémoire. Une fois l’opération terminée vous serez autorisé à dire ce que vous savez ou à mourir, si vous ne savez rien. Je vois à votre regard que vous comprenez parfaitement ce que j’attends de vous.

L’homme fit calmement le tour du siège en tapotant, de sa main gantée de noir, la tête de Slug.

  • Qu’alliez-vous faire chez le vendeur de serpents ?

Puis, soudainement, il envoya une volée de coups de poing dans les reins de Slug. Une fois écroulé sur le sol plié de douleur, il reçut une volée de coups de pieds dans le dos et le ventre. Son corps n’était plus qu’une meurtrissure violacée. L’esprit tellement embrumé, il ne savait même pas s’il était entier ou s’il était disloqué. Greuth riait à gorge déployée de l’infortune de sa victime.

  • Allez, enlève-lui le bâillon, je voudrais l’entendre maintenant que sa mémoire doit être revenue. Qu’alliez-vous faire dans cette boutique ? Pour qui travaillez-vous ? Que savez-vous d’Harllanan ?

Slug gémit.

  • …le connaît que depuis deux jours, j’vous dis… y cherche une fille, c’est tout.
  • C’est tout, je vois que les soins de mes assistants ne semblent pas avoir porté leurs fruits, grimaça Greuth, nous allons laisser la nuit pour envisager la suite des opérations.

Greuth fit un signe de la tête aux deux assistants, les invitant à quitter la cellule crasseuse et froide de Slug. Il leur emboîta le pas, ferma la lourde et les suivit dans le long couloir menant à l’escalier de pierre donnant accès aux salles de garde du rez-de-chaussée. Les trois hommes s’assirent. Greuth se servit un gobelet de vin de garde, le but en grimaçant.

  • Danang, dit Greuth à un des deux gardes, tu feras doubler la garde cette nuit !
  • Il en sera fait selon vos désirs, Messire.
  • Espérons qu’il mordra à l’hameçon, reprit Greuth. Ah ! Danang, si tu avais l’esprit aussi vif que l’œil perçant et le bras prompt, ce boutiquier serait toujours en vie et on n’en serait pas à espérer la venue d’Harllanan jusqu’ici.

Will Danang se passa la main sur son œil droit, boursouflé par un coup de poing magistral dont l’avait gratifié Greuth. Il se remémorait comment il y a quelques heures, après qu’il ait abattu le marchand de serpents dans sa boutique lors de l’arrestation de Slug, Greuth avait dirigé sur lui sa rage proverbiale. Comment il avait pulvérisé d’un coup de marteau la table de travail en pierre du marchand en hurlant et en détruisant à moitié l’échoppe. Depuis qu’il était au service de Greuth, c’était la deuxième fois qu’il avait à se mettre à découvert de la sorte, risquant de compromettre sa couverture, sa vie et de rendre inutiles les années passées à découvrir les desseins de Greuth, pour le service de Téméro. Will se souvenait comment il avait été, jeune, ébahi par le charisme de ce géant aux apparences de seigneur campagnard. Il s’était engagé à son service comme soldat à l’époque où, croyait-il, la Seigneurie d’Artesan était menacée par les manœuvres de son voisin le vieux Yohannes Kerria, Duc de Ginuril. Depuis, il avait découvert à quel point, la malice et la rouerie se cachaient derrière la fausse naïveté du Comte Greuth.

  • Qu’est-ce que t’en penses ? Hé Danang ! Qu’est-ce que t’en penses ? répéta Greuth.
  • Hein ? Pardon. De quoi ?
  • Où peut bien être Téméro, d’où est-ce qu’il peut agir comme ça sans source apparente d’énergie ?

S’il savait, pensa Will, que la source d’énergie dont se servait Téméro n’était pas détectable, même par un aussi fin limier que Rowden… En effet même pour un spécialiste de la filature des arcanes comme le comparse de Greuth, il n’est pas possible de repérer un gisement hors champ. La source énergétique générée par le contact entre les deux sphères (celle du jeu-monde et celle du XXXème siècle) produisant une quantité colossale de magitrons que seuls les plus grands sont capables de contrôler, et encore avait-il fallu à Téméro l’aide de Céguy pour domestiquer cet afflux. Evidemment, le bénéfice en est immense. Téméro peut générer des effets arcanoïdes sans pouvoir être repéré. Il peut en plus leur donner une grande puissance sans puiser dans ses ressources personnelles.

Harry Lanan ressentit encore une fois ce fourmillement caractéristique des opérations de connexion. Suivi de la sensation de chute vertigineuse, puis du contact brutal avec le sol. Harllanan se releva de sa chute, s’épousseta. Il reconnut autour de lui le village de Dummy. Sans savoir ce qui avait pu se passer depuis sa dernière déconnexion, il alla se cacher derrière une maison, attendit quelques minutes en observant ce qui se passait aux alentours. Manifestement la situation était calme.

  • Bien, se dit-il, il ne reste plus qu’à retrouver Slug à la taverne.

Il entra, remarqua quelques uns des types qui accompagnaient Boris, qui, lui n’était plus là. Il alla s’asseoir à une table, commanda une bouteille de vin de pêche, dont il se versa un verre en attendant le retour de Slug. Après quelques minutes, un des acolytes de Boris se leva de son siège, se dirigea vers la table d’Harllanan.

  • Je peux m’asseoir ? fit-il, en désignant une chaise.
  • Faut voir, dit Shas.
  • C’est au sujet de ce qui s’est passé tout à l’heure…
  • Et alors ? le coupa-t-il.
  • On y est pour rien nous, hein les gars ! lança-t-il à destination de ses comparses, on aime bien les nouveaux en ville nous, ça fait du bien au commerce.
  • Ouais, ouais, c’est sûr ça, répondirent-ils en cœur.
  • Je peux te payer un verre ? Je m’appelle Oleg, poursuivit l’homme en s’asseyant. Si tu attends ton ami de l’autre fois, le borgne, je crois qu’il ne viendra pas.
  • Ah oui ? Et pourquoi donc, je vous prie ?
  • Il a été arrêté par les hommes de Greuth.
  • Il y a longtemps ?
  • Deux heures à peu près.

Juste après mon départ, pensa Harllanan. Les événements décrits dans ma badel sont en train de se produire. Si je laisse Slug en prison, plus personne ne pourra récupérer Sylvana, elle restera à jamais un souvenir perdu. Et la sécheresse en cours chez moi tuera tous les vivants.

  • Sais-tu où il a été emmené ?
  • Ils l’ont conduit au Fort de la Rivelle. Dis-moi l’ami, on peut savoir d’où tu viens ?
  • Non, et puis je dois m’en aller. Puisqu’on est devenu ami, je te laisse payer ma bouteille… l’ami !

Shas quitta prestement la taverne, s’assura que ses nouveaux " amis " ne le suivaient pas, pas plus que quiconque d’ailleurs. Il alla s’isoler à l’abri du porche d’une maison sans signe de vie. Il sortit sa badel.

  • Alors, voyons voir. Château de la Rivelle.

L’appareil sembla crépiter quelques secondes avant de redevenir silencieux.

  • Pas de Château de la Rivelle ? !… Eh oui, bien sûr, Fort de la Rivelle.

L’appareil crépita à nouveau.

  • Allez trouve. Ouais c’est ça, dit-il en voyant s’afficher une image du château.

Il toucha du doigt l’écran pour avoir des précisions sur l’architecture et les plans du château. L’article disait : " Château construit sous le règne de Grégor le Pieux, au 128ème ciel, pour faire face aux menaces de peuples venus des mers du sud. Cet édifice militaire comportait cinq tours, dont une faisait office de porte d’entrée fortifiée. Les quatre autres tours étaient disposées de façon classique, ce qui donnait à la tour d’entrée une position avancée de défense pouvant également servir de position de contre-offensive. Cette propriété de Yohannes Kerria, gagnée à sa mort par Greuth d’Artesan Duc de Ginuril, pouvait abriter jusqu’à deux mille hommes d’armes et cinq cents civils. Cette forteresse a détenu d’illustres prisonniers, comme des rois, des pairs de royaume ou même des gens qu’on qualifiait de puissants sans vraiment qu’on sache qui ils étaient. Des rumeurs ont prétendu que certains prisonniers étaient devins, mages, sorciers, prédicateurs ou religieux. La vérité des faits est qu’on savait Greuth habile politicien et homme de talent capable d’avoir réellement commis tout ceci sans pouvoir être puni ou même menacé pour cela. Le château a été détruit des siècles plus tard au cours de la Guerre de Succession menée par Gustav II contre Théodore le Vaillant ". L’article était suivi des nombreux croquis et plans du château, avec quelques détails techniques sur l’architecture et la nature des matériaux employés pour telle ou telle partie de l’édifice.

  • Voilà ce qu’il me faut, se dit Harllanan. Slug, mon vieux, accroche-toi, j’arrive.