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Episode
3: La cabane (Tchik
Parafe - 09/12/2000)
Slug tourna la tête dans cette
direction, et, tout en avançant d’un pas mesuré, fouillait du
regard le pied de la croix. S’agenouillant, il découvrit, dissimulé
dans les herbes un livre, recouvert d’un cuir dont il ne connaissait pas l’origine.
Une molette sur sa tranche permettait de l’ouvrir.
Slug ouvrit le livre. Il ne comportait
qu’une seule page, noire, brillante et lisse comme une pierre polie.
Shas sourit :
Il posa l’index dans le coin supérieur
droit de la page. Elle devint blanche, puis commença à s’animer.
Une cabane dans une forêt, la
porte s’ouvre sur un intérieur sombre. Quelques dizaines de livres
empilés à même le sol semblent n’avoir pas été
lus depuis longtemps, une paillasse éventrée, une table poussiéreuse
et deux chaises fatiguées complètent le mobilier de l’unique
pièce. Curiosité pour le lieu : un tapis. Etendu sous la
table, comme pour cacher quelque chose. La table s’écarte, glissant
sur le tapis, qui s’enroule sur lui-même, laissant progressivement apparaître,
marqués au fer sur le plancher des symboles ésotériques,
témoins de rites ancestraux, étranges et inquiétants.
Les marques étranges s’éclairent
doucement pour devenir si rouges qu’à les voir, on sentirait presque
la chaleur en émaner. L’image s’estompe pour faire place à une
forêt, vue depuis un oiseau, haut dans le ciel. Au lointain, une lueur,
ténue dans la clarté du jour, comme une auréole encerclant
la canopée. L’ennemi de tout ce qui vit, le feu ! L’image se fait
plus précise. Un gigantesque rideau de feu avance implacablement, se
nourrissant de toute vie qu’il rencontre, semblant vouloir dévorer
jusqu’au ciel lui-même. La chaleur du brasier en marche soulève
tant de cendres qu’elle en noircit l’air, telle une nuée d’insectes
destructeurs.
L’oiseau, poussé par son instinct
de conservation, fuit à l’opposé du feu. Au sol, fuyant également
la mort dans un élan unanime, toutes sortes d’animaux : loups,
ours, lapins, cerfs, etc., aucun ne se préoccupant d’autre chose que
de sauver sa vie.
Soudain, apparaissant dans le champ
de vision de l’oiseau, venant du village bordant la forêt, une femme
marche doucement, pas à pas, couverte par une pluie battante, dont
elle ne semble pas souffrir le moins du monde. Bras écartés,
paumes tournées vers les nuages, elle progresse, imperturbablement,
concentrée sur la barrière de pluie. Le mur de feu continue
son avance dans sa direction. La femme avance sans faillir, à la rencontre
du mur de flammes.
Arrivée à une dizaine
de mètres de la lisière de la forêt, elle s’arrête,
tend les bras devant elle, tourne les paumes de ses mains face au sol. Les
nuages continuent lentement leur course atteignant enfin l’incendie.
L’image s’estompe. La page redevient
blanche.
Harllanan tourna le regard vers Slug
en refermant son mystérieux livre.
-
Un bien étrange livre,
ma foi fit Slug, visiblement émerveillé, les images bougent
toutes seules, le livre est bruyant et je parie qu’il peut parler.
-
Absolument, mais ce n’est pas
un livre, ça s’appelle une badel, une banque de données
électronique. Ca sert, entres autres, à conserver des informations.
Le contenu de millions de livres tient là-dedans. Ce que tu viens
de voir s’est déjà produit dans mon passé, mais ceci
va se produire dans ton futur.
-
Où est le problème ?
questionna Slug. Un incendie de forêt, une fille qui l’éteint
en contrôlant les nuages et hop, le tour est joué, tout est
bien qui finit bien, non ?
-
Nous n’avons pas vu la fin de
l’histoire, parce qu’elle nous est inconnue. On suppose que Sylvana a
éteint le feu. Mais à partir d’ici, elle à disparu.
Plus personne ne semble l’avoir revue. L’une des raisons pour lesquelles
je suis ici - tellement de choses sont imbriquées les unes dans
les autres, soupira-t-il en pensées - c’est pour la ramener à
son époque, celle où je vis.
-
C’est une parente ? demanda
Slug.
-
Qu’elle le soit ou pas n’entre
pas en considération pour mon objectif. Elle est Sylvana, la gardienne
des Eléments. Sylvana n’est pas un nom, c’est un titre et un destin
que la nature lui a donné. Tu te rappelles la cabane, avec les
signes étranges au sol ?
-
Ouais…
-
Elle a abrité un enchanteur
du nom de Gérard D’Eau, appelé Téméro dans
le métier. Ce n’était pas un homme véritablement
malfaisant, mais il expérimentait souvent ses nouveaux enchantements
sans établir les tests théoriques préconisés
par l’Assemblée des Magiciens de la Côte. Son impatience
liée à la distraction qui caractérise certains grands
esprits ont plus d’une fois généré des catastrophes.
Il paraît probable que le jour où la forêt hantée
a pris feu, il en était la cause. Et
donc, depuis ce jour, Sylvana a disparu comme je l’ai déjà
dit. Il n’y a plus eu de Sylvana depuis fort longtemps, sans que la nature
n’en produise une autre. Et pour cause, il ne peut y en avoir qu’une seule
à la fois. Apparemment, cela ne semblait pas déranger l’ordonnancement
métaphysique de l’univers. Mais en fait, si j’ai bien compris l’exposé
du professeur Bernirdaminis, l’absence de Sylvana et la non-apparition
d’une nouvelle Sylvana a laissé un vide. Les éléments
n’ont plus de maître, et il semble que l’eau soit progressivement
en train de s’échapper du monde depuis des siècles. Nous
n’en avons pris conscience que récemment. La Sylvana de cette époque
est donc toujours en vie quelque part. Qu’en est-il advenu après
l’incendie ? A-t-elle été endormie plus tôt que
les autres elfes ? Est-elle en train de dormir en dehors de la cité
où l’équipe du professeur nous a trouvés ? Ou
s’agit-il de tout autre chose ? Demain, nous partirons pour la forêt
hantée assister à ton futur.
-
Tu sembles tellement savoir
de quoi tu parles que je me demande pourquoi tu aurais besoin de moi,
s’enquit Slug.
-
Quand nous serons là-bas,
nous serons devant une scène qui appartient à mon passé,
je ne pourrai donc y assister qu’en tant que spectateur, je ne pourrai
pas agir, mais je te dirai que faire. Avant d’y être, nous devons
nous préparer, j’ai besoin de certains produits, allons au bazar
de la ville.
Les deux nouveaux compagnons se dirigèrent
vers la grand’rue, Slug continuant de questionner Harllanan, sur son passé
et son futur.
 
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