Journey
into reality 23
(Dimanche
24 novembre 2002)
Bob
Bernstein :
Bonjour à tous pour votre rendez-vous mensuel avec Journey
into Reality et votre serviteur Bob. Le mois d'octobre
a vu comme promis l'arrivée de notre grand bêtisier spécial
jeux de rôles. J'espère que comme moi, vous aurez su l'apprécier
à sa juste valeur. Le prochain rendez-vous sera dans la Nexion animation
avec des conseils sur la création d'une histoire.
En
attendand, je vous propose de nous intéresser ce mois à un rapport
demandé par notre Ministre de la Culture et de la Communication sur
la violence à la télévision. Ce rapport de 75
pages a été rédigée par la philosophe Blandine
Kriegel après consultation et débat avec 36 personnalités
venues du monde des médias, de l'université, de
la médecine et du droit. Puisque la télévision
est mon domaine de prédilection, je ne peux m'empêcher de vous
faire partager mon analyse à ce sujet.
Commençons
par la phrase choc qui a été reprise par tous nos médias
"la Commission s'est accordée à reconnaître un
net effet de l'impact de la diffusion de spectacles violents sur le comportement
des plus jeunes et/ou un ensemble de présomptions convergentes tendant
à établir cet effet". Cela nécessite une petite
explication de texte et d'essayer de répondre à quelques
questions.
Qu'est-ce
qui a amené la Commission à s'accorder à reconnaître
ce net effet ? Elle s'est pour cela appuyée sur plusieurs études
sérieuses qui ont été menées auprès de
professionnels de l'enfance. Si le sérieux de ces études
n'est pas à mettre en doute, il faut néanmoins préciser
deux choses. Premièrement ces études ont été pour
l'essentiel réalisées aux Etats-Unis puisque la France
semble avoir peu d'éléments concrets en la matière. Il
faut donc mettre un bémol sur les résultats obtenus puisque
la population américaine présente tout de même un certain
nombre de caractéristiques différentes de la nôtre.
Deuxièmement, l'impact de cette affirmation est nuancée plus
loin dans ce même rapport "L'incidence des émissions
violentes sur les conduites est toutefois réduite et les processus
à l'oeuvre sont loin de se résumer à des automatismes
mimétiques. Il est plus raisonnable de dire que pour certaines personnes
et dans certaines situations, les émissions violentes ont un effet".
Encore une fois, on constate que seules les phrases les plus inquiétantes
ont retenu l'attention de nos journalistes. Il aurait été plus
sage de dire que oui, la violence à la télévision à
un impact (comme tous les éléments du monde qui nous
entoure) mais ce n'est que l'un de ces éléments et non
le principal puisque le rapport indique que le chômage durable influe
bien d'avantage encore.
Comment
ce net effet se traduit-il ? Le rapport conclut d'une part à
un risque de désensibilisation à la violence. Celle-ci
devenant plus courante, les enfants s'y habituent ce qui a pour effet négatif
de présenter la violence comme une solution possible aux problèmes
rencontrés. D'autre part, les émissions pornographiques
peuvent avoir pour effet de faire sauter des étapes de maturation sexuelle
aux enfants. Fautes d'études dans ce domaine, les effets à long
terme ne peuvent être présentés. Il faut donc en
déduire que ce "net effet" s'il est bien réel, n'en
est pas moins limité à un cadre moins vaste que ce qu'il
pouvait sembler au premier abord.
Qu'est-ce
qu'un spectacle violent ?
Il faut reconnaître que la réponse à cette question est
tout sauf facile. Pour tenter d'y répondre, la commission a proposé
sa définition de la violence : "la force déréglée
qui porte atteinte à l'intégrité psysique ou psychique
pour mettre en cause dans un but de domination ou de destruction l'humanité
de l'individu". Si cette définition semble correcte, force
est de constater qu'elle ne permet pas de clarifier réellement les
choses pour autant. A partir de cette même définition, selon
qu'on la prenne au sens strict ou avec une certaine souplesse, deux individus
différents pourront situer une même scène comme violente
ou non violente. Dans son acception la plus stricte, il devient même
pratiquement impossible de trouver une histoire sans scène de violence.
Ainsi, il faudra prendre les plus grandes pécautions dans la diffusion
des cartoons ou l'intégrité physique des héros ne cesse
d'être mise en pièces des façons les plus variés.
Vil Coyote et Bip-Bip vont-ils devoir être sacrifiés
sur l'autel de la censure ? Je plaisante bien sûr, mais définir
ce qui est violent de ce qui ne l'est pas semble toujours aussi difficile
et le rapport se garde bien de citer le moindre programme à titre d'exemple.
Qui
sont les plus jeunes ? Le rapport s'accorde à classer essentiellement
dans cette catégorie les moins de 12 ans.
Quant
à la fin de la phrase, elle semble beaucoup moins affirmative
que son début puisque là, on nous parlent de présomptions
et non de preuves qui peuvent amener à quelques doutes sur les certitudes
du rapport.
Certaines
solutions sont proposées pour améliorer notre situation :
-
On propose de mettre d'avantage en évidence les conséquences
pour les victimes en insistant sur le caractère fictif
ou esthétique des scènes. On veut aussi développer
les compétences critiques du spectateur. Il faut donc en revenir
à l'éducation à la télévision qui pourait
être dispensée aussi bien par l'école que par les
parents. Si en ce qui concerne l'école, il ne semble pas impossible
d'inclure dans les programmes des temps sur l'analyse critique de l'image
(bien que certains professeurs des écoles n'aient pas attendu le feu
vert pour le faire), on peut se demander comment il sera possible de préparer
les parents à ce rôle éducatif. D'autant que l'on peut
s'interroger si les nouvelles générations ne sont pas plus aptes
à décoder l'image que les précédentes.
- Donner plus de pouvoirs au CSA en lui permettant de prendre des
sanctions financières contre les chaînes qui ne suivraient
pas ses conseils... Malgré tout, ces sanctions resteront difficiles
à prendre étant donné la subjectivité d'évaluation
citée plus haut et les discussions risquent d'aller bon train.
-
Interdir tout programme violent entre 7h00 et 22h30. Ce point semble
poser quelques problèmes essentiellement en ce qui concerne le prime
time et l'avenir du cinéma français. En effet, les
chaînes de télévision sont parties prenantes dans le financement
des films français. En échange de cet investissement, elles
ont la possibilité de diffuser le film en premier sur leur antenne
quelques temps après sa sortie en salle. Mais pour qu'il y est retour
d'investissement il faut que le film soit diffusé à une heure
de grande écoute, soit à 21h00. Faute de combler
ce manque à gagner, c'est la création française qui en
subira les conséquences. C'est la raison pour laquelle certains patrons
de chaîne souhaitent que la durée soit réduite de 7h00
à 21h00, ce qui peut se concevoir étant donné qu'à
21h00, la majorité des parents peut être présente pour
jouer son rôle éducatif.
-
Modifier les règles de classification des films pour se rapprocher
des normes européennes. On constate que nos règles permettant
de déterminer dans quelle catégorie et donc pour quel public
est destiné un film semble plus "laxistes" que celles
de nos voisins européens. Le rapport demande plus de rigueur
à ce sujet. Les auteurs et réalisateurs ne partagent pas ce
point de vue si l'en on en croit Pascal Rogard, délégué
général des Auteurs et Réalisateurs Producteurs
(ARP) : "Ce qu'elle (Blandine Kriegel) ne précise pas,
c'est que, en Angleterre, la liste des films interdits aux moins de 15 ans
inclut "Beaumarchais", "Le bonheur est dans le pré",
"Le hussard sur le toît" et "Ridicule" ! Et que
si, actuellement, en France, on leur met un visa "moins de 16 ans",
ils ne sont plus passables à la télévision avant 22h30".
Il semble d'ailleurs que nos voisins européens aient l'intention de
leur côté, à l'inverse, d'alléger leur censure.
-
Faire que chaque chaîne élabore une charte déontologique
et consulte d'avantage les téléspectateurs. Il semble
que cette tendance soit déjà d'actualité et paraisse
une bonne idée. Mais que se passera-t-il, si les spectateurs, de leur
côté trouvent les programmes trop aseptisés et demandent
plus de violence ? Mais, non je plaisante encore, ce n'est pas possible...
-
Les films pornographiques ne sont pas interdits mais les chaînes
les diffusant, se sont engagées à mettre en place des moyens
techniques rendant leur accès plus difficile (double
cryptage, paiement à la séance... ). C'est l'un des rares points
où tout le monde semble d'accord et où la mise en oeuvre apparaisse
tout à fait possible à court terme. Pardon, j'oubliais Christine
Boutin, qui elle, n'est pas satisfaire et repart en guerre contre ce fléau
des temps modernes qu'est la pornographie ! ! !
La
commission semble avoir été embarassée par le
problème de la violence dans le cadre de l'information. Mais
elle se trouve des arguments pour écarter le problème. Premièrement,
elle nous annonce que ce n'est pas nouveau ; comme si le fait que quelque
chose ait toujours existé justifie de son intérêt pour
le futur. Deuxièmement elle s'en remet la déontologie
des journalistes ; les réalisateurs de fiction seront heureux d'apprendre
que la leur n'a pas la même valeur. Troisièmement que les parents
qui sont si souvent absents sont soudainement présents pour jouer un
rôle pédagogique. Quatrièmement qu'il n'y aurait pas vraiment
de concurrence d'audimat concernant les journeaux d'information ; la
guerre du 20h ne serait donc qu'une chimère ? Pourtant c'est bien là
que l'on trouve les scènes les plus violentes et là,
il ne s'agit pas de fiction. Si l'on recherche l'image la plus violente diffusée
à la télévision ces dernières années, celle
d'avions s'encastrant dans des tours, me semble bien placée pour avoir
la palme. Mais on comprend qu'il semble difficile d'intervenir sur le sujet
sans tomber dans une véritable censure ou une carence d'information.
De
la même façon la télé-réalité
qui a déchaîné les passions ces dernières années
et qui continue à faire des records d'audience chez les plus jeunes
a aussi été habilement évitée. On ne saura jamais
si Mme Kriegel préfère la Star Ac ou Pop Star...
:-)
Dans
les mesures concrètes et immédiates on note la nouvelle signalétique.
Il était effictivement temps de faire quelque chose car personne n'avait
encore réussi à comprendre l'ancienne. Les symboles c'est bien
joli mais encore faut-il qu'ils renvoient à quelque chose. Cette nouveauté
se caractérise par un chiffre indiquant l'âge minimum dans
un rond blanc et doit rester pendant toute l'émission (y compris
sur les films que vous allez enregistrer... bandes de petits veinards ! ).
Reste à savoir si elle a l'effet souhaité ou l'inverse... l'interdit
est tellement tentant.
Un
passage a cependant retenu mon attention et mériterait d'être
approfondi. Un des reproche qui est fait aux fictions contemporaines est que
le héros vit dans un univers complètement corrompu et
que même s'il réussit sa mission à la fin de l'histoire,
ce n'est qu'une goutte d'eau dans la mer, le mal continuant d'être
victorieux sur le reste du monde. A l'inverse les héros d'antant
évoluaient eux dans un univers positif qui était corrompu
le temps de l'histoire par un vilain mais tout rentrait dans l'ordre avec
la victoire du bien sur le mal. Il serait certainement intéressant
de faire une analyse de ce thème. Alors si certains se sentent le coeur
de creuser cela, qu'ils n'hésitent pas à me faire part de leurs
réflexions.
On
pourra aussi être d'accord avec une prise de position claire du rapport
qui dit qu'en cas de heurts entre le principe de liberté et celui de
protection des enfants, c'est ce dernier qui doit prévaloir.
Pour
conclure ce sujet, on gardera donc à l'esprit qu'il faut rester
vigilant sur ce que des enfants peuvent regarder à la télévision
et que c'est le rôle de tous, des créateurs aux parents
en passant par les diffuseurs. Si l'on en croit les premières paroles
de Jean-Jacques Aillagon, Ministre de la culture et de la communication,
"le choix de la concertation plutôt que celui d'une interdiction
brutale", "ne pas considérer la télévision
comme le bouc émissaire de tous les maux de notre société",
les décision sont encore loin d'être prises surtout que son entourage
rajoute "entre un rapport et l'appréciation de son commanditaire,
il y a l'espace de la réflexion". Il y a donc de grandes chances
pour que ce rapport ne change pas grand chose mais il aura au moins eu le
mérite de relancer ce débat éternel sur la place publique.
Et
puis gardons à l'esprit que si la télévision avait une
influence aussi puissante, avec toutes les séries et les films où
le gentil gagne toujours à la fin, il y a longtemps qu'il n'y aurait
plus de méchants dans la vraie vie...
Je
vous laisse à vos réflexions et vous donne rendez-vous en décembre
! Bye !
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